Interview d’Isabelle Huault, Présidente de l’Université Paris-Dauphine par Christophe Juarez, Président de Dauphine Alumni.

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Christophe Juarez : Isabelle Huault, qui êtes-vous ?
Isabelle Huault : Je suis enseignant-chercheur, professeure de théorie des organisations. Je suis arrivée à Dauphine en 2005 où j’ai occupé diverses fonctions : Directrice de l’École Doctorale de Gestion (2006-2009), puis Directrice du centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management) pendant 6 ans de 2006 à 2015. Puis, j’ai été élue vice-présidente en 2015, ce qui m’a permis de m’impliquer encore davantage dans la gestion de l’université et m’a donné envie par la suite de présenter ma candidature à la présidence de l’université.

CJ : Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru par Dauphine depuis sa création en 1968 ?
IH : Dauphine est une université expérimentale et innovante depuis sa création, construite sur un modèle assez différent des autres universités, tant du point de vue de la recherche que de la formation ou encore, à nos liens avec les milieux socio-économiques. Je pense par exemple à la pédagogie par ‘petits groupes’ qui était assez inédite en 1968. Aujourd’hui, les bouleversements liés à la révolution numérique doivent également nous conduire à beaucoup de volontarisme sur le plan des transformations pédagogiques. On compte à Dauphine de nouvelles initiatives innovantes, comme le programme ‘Talents’ en licence qui permet à des sportifs de haut niveau, à des artistes et à de jeunes entrepreneurs de continuer à exercer leur passion, tout en menant des études supérieures de haut niveau avec un parcours aménagé. De même le programme ‘Egalité des Chances’, porté avec des entreprises partenaires via la Fondation, permet d’ouvrir notre Université à des étudiants de milieux modestes. Il nous faut dans ce cadre poursuivre notre trajectoire d’expérimentation et d’innovation. C’est dans cette tradition de créativité que je souhaite aussi inscrire mon mandat.

CJ : Qu’est-ce qui distingue Dauphine des Grandes Écoles ?
IH : Paris-Dauphine s’est construite sur un modèle assez hybride, à la fois grande école et université. Grande école par sa proximité avec les milieux socio-économiques, son taux d’insertion professionnelle, son dynamisme, son réseau d’Alumni et la densité du tissu associatif avec plus de 40 associations étudiantes domiciliées à Paris-Dauphine. C’est facteur de cohésion, d’engagement de nos étudiants et crée un sentiment d’appartenance fort à l’établissement. Mais aussi université parce que nous accordons une très grande place à l’excellence scientifique, à la recherche et à la pluridisciplinarité, que nous envient de nombreux établissements d’enseignement supérieur. Les parcours de formation, toujours adossés à la recherche, cherchent à dispenser un savoir distancié, à former des étudiants réflexifs, dotés d’un esprit critique. Paris-Dauphine, il faut le rappeler, a une mission de service public qui s’incarne dans des valeurs d’ouverture, de culture et de curiosité. Au total, Paris-Dauphine revêt des spécificités : diplômes de grand établissement, droits de scolarité modulés, première université française à être accréditée Equis.

CJ : Quelles sont vos priorités pour les années à venir ?
IH : J’avais annoncé lors de ma campagne pour la présidence de l’Université, trois grands axes stratégiques pour devenir l’une des universités leader en Europe dans le domaine des sciences de l’organisation et de la décision :
1. La créativité ;
2. La responsabilité sociale ;
3. Le rayonnement international
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La créativité renvoie par exemple à l’innovation pédagogique notamment à l’ère de la révolution numérique. Mais les transformations pédagogiques ne se limitent pas à la dimension technologique. On peut ainsi innover en cultivant encore mieux la transversalité entre nos disciplines (par exemple Big Data et Journalisme). La créativité c’est aussi être capable de produire des connaissances scientifiques du meilleur niveau international dans tous nos domaines, pour encore renforcer la visibilité de notre recherche. Ensuite, en tant qu’université, nous avons à jouer un rôle actif en matière d’engagement social. Par exemple, faire en sorte que la diversité sociale étudiante augmente à Dauphine. Cela doit passer par la consolidation et le renforcement de notre programme Égalité des chances.
Notre responsabilité sociale, c’est aussi de diffuser nos travaux de recherche auprès d’un public large pour instruire et alimenter les débats citoyens, c’est d’assurer la qualité de vie au travail de nos personnels et de porter une attention particulière à l’enjeu écologique dans le projet de réhabilitation de notre bâtiment dont les travaux débuteront en 2019.
Enfin, le secteur de l’enseignement supérieur est désormais mondialisé et la question de notre rayonnement international se pose, pour préserver notre attractivité, tant auprès des étudiants que des enseignants-chercheurs. Si Paris-Dauphine bénéficie d’un positionnement bien reconnu dans le paysage français, il convient de devenir plus visible à l’international. En ce sens, les accords-cadres signés par PSL peuvent nous y aider. Nous sommes aussi membres de SIGMA-Alliance (cette alliance est un regroupement de 7 établissements indépendants qui se développent à l’international, incluant Copenhagen Business School (CBS), l’Université de Saint Gall, WirtschaftsUniversität à Vienne (WU), Singapore Management University (SMU), la Fondation Getulio Vargas (FGV) au Brésil et ESADE à Barcelone).
Tout l’enjeu est désormais de donner une consistance et une réalité à cette alliance pour renforcer la circulation étudiante en son sein, initier des diplômes communs, mettre en œuvre des coopérations scientifiques et pédagogiques entre enseignants-chercheurs de nationalité différente…
Dans ce contexte deux leviers sont particulièrement importants : la Fondation Paris-Dauphine et le réseau des Alumni.

La Fondation nous accompagne dans le développement des projets stratégiques de l’université (en finançant par exemple des bourses de mobilité internationale, en promouvant l’excellence scientifique avec les Chaires de recherche et en soutenant les dispositifs de solidarité via le programme Egalité des chances).
Quant au réseau des Alumni, il est indispensable. Je suis convaincue que la notoriété des grandes universités internationales se développe grâce aux liens qu’elles entretiennent avec leurs Alumni, et je compte sur notre réseau d’Alumni.

CJ : La taille de Dauphine est-elle un atout ou une difficulté dans l’axe international ?
IH : Je pense que la taille de notre université est satisfaisante et l’enjeu n’est pas de grossir. Je tiens à préserver la qualité. On compte au sein de PSL 18 000 étudiants, dont 10 000 au sein de Paris-Dauphine (8 500 en formation initiale et 1 500 en formation continue). Pour le moment, avec les ressources dont nous disposons, je considère que notre taille est adéquate, au sein de PSL.

CJ : Que nous faut-il pour passer à la vitesse supérieure ?
IH : En premier lieu, Dauphine a besoin de moyens financiers supplémentaires. La dotation publique stagne et il n’est pas prévu à court terme qu’elle augmente de manière significative. Dans la compétition internationale, il nous faut continuer à augmenter nos ressources propres pour disposer de locaux dignes de ce nom, se doter de services support qui permettent d’attirer des étudiants et des enseignants-chercheurs, pouvoir assurer la transition numérique et les transformations pédagogiques, être capables d’investir dans la communication. Dauphine a été très avant-gardiste en matière de levée de ressources propres grâce à l’apprentissage, la formation continue. Cela constitue un réel atout et doit être poursuivi. En second lieu, Paris-Dauphine doit rendre son organisation plus efficiente. L’université s’est développée sur la base d’initiatives décentralisées et il faut que cela continue. Cette logique bottom-up et entrepreneuriale fait la force de notre établissement. En même temps, aujourd’hui, nous avons besoin de développer l’image et la visibilité de l’ensemble de l’établissement, en renforçant la coordination. Cet équilibre est un défi organisationnel important.

CJ : Quelles volonté et perspectives pouvons-nous identifier derrière le sigle PSL ?
IH : Paris-Dauphine est un des membres fondateur de Paris Sciences et Lettres. PSL, c’est le regroupement d’établissements qui ont en commun d’être prestigieux, sélectifs, tous très adossés à la recherche, bien qu’ils aient des domaines d’activité assez différents. Y contribuent 26 institutions membres telles que l’École Normale Supérieure, le Collège de France, l’École des Mines, l’École Nationale des Chartes, la FEMIS, l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, l’École Pratique des Hautes Études… PSL constitue une opportunité pour Paris-Dauphine car il s’agit d’un changement d’échelle, notamment pour notre rayonnement international. Il s’agit de la construction d’une université de rang mondial, capable d’attirer les meilleurs talents convoités par les universités européennes, anglophones ou d’Asie. PSL signe ainsi d’ores et déjà des accords-cadres internationaux prestigieux que Dauphine ne pourrait pas signer seul, comme avec NYU aux États-Unis, Cambridge en Angleterre ou Taïwan University. PSL permet à Paris-Dauphine de s’inscrire dans une dynamique générale vertueuse, de développer des synergies avec les établissements, de cultiver la pluri-disciplinarité de manière encore plus large, de s’engager vers plus de transversalités sur le plan pédagogique. Cela permet aussi de créer des dispositifs innovants comme ‘l’École de la Mode’ (Paris Fashion School by PSL), projet commun à trois établissements : l’École des Mines, l’École Nationale des Arts décoratifs et puis Dauphine avec son département Marketing. PSL permet également de renforcer les parcours de formation entre les établissements et les différents cursus. Un étudiant pourra, par exemple, compléter son parcours en allant suivre une ou plusieurs unités d’enseignement dans un établissement de PSL. PSL permet d’initier ou de consolider des coopérations scientifiques et pluri-disciplinaires. Enfin PSL aura une forte visibilité dans les classements internationaux, ce qui rejaillira sur la notoriété de Paris-Dauphine.

CJ : Qu’attendez-vous du réseau des Alumni ?
IH : J’aimerais renforcer un certain nombre d’actions qui ont déjà été initiées, notamment la proximité avec nos étudiants à travers le programme de Mentoring. Les Alumni doivent pouvoir, s’ils le souhaitent, intervenir dans nos programmes de formation en faisant bénéficier les étudiants de leur expérience. Ils peuvent aussi revenir se former à Dauphine en formation continue. Les Alumni jouent, il faut le rappeler, un rôle crucial dans le programme Égalité des chances. Ils sont toujours les bienvenus pour être ‘parrain’ d’étudiants issus de ce programme. Par ailleurs, dans un contexte d’ouverture internationale, les Chapters à l’étranger peuvent nous aider à constituer des plateformes pour développer à l’international les relations avec les milieux socio-économiques C’est un tissu dense de relations que nous souhaitons promouvoir et peut-être pourrions-nous être encore plus volontaristes auprès des diplômés des MBA internationaux.

CJ : Quelles qualités faut-il pour réussir à piloter une université ?
IH : Avant tout, savoir écouter ! Il faut avoir des convictions mais être capable d’écouter les avis qualifiés qui ne sont pas tous concordants pour se forger une opinion.
Il faut bien sûr aussi savoir s’entourer et former une équipe solidaire; être déterminé mais avoir un sens du compromis, de la concertation, des positions équilibrées, car les parties prenantes sont nombreuses. Je sais pouvoir compter sur mes collègues et sur les personnels.